Progressivement, les utilisateurs des médias sociaux sont devenus plus à l’aise pour partager des détails intimes de leur vie avec des inconnus et des entreprises, ils sont devenus plus adeptes des spectacles et de la gestion de leur marque personnelle, mise en avant d’activités qui peuvent impressionner les autres mais qui n’approfondissent pas les amitiés comme le ferait une conversation téléphonique privée.
Une fois que les plateformes des médias sociaux ont appris aux utilisateurs à passer plus de temps à se produire et de moins en moins à se connecter en réel, le décor est planté pour la principale transformation de notre société qui a commencé en 2009 : l’intensification de la dynamique virale.
Avant 2009, Facebook offrait aux utilisateurs une simple chronologie, un flux ininterrompu de contenus générés par leurs amis et leurs relations, avec les publications les plus récentes en haut et les plus anciennes en bas. Le volume de ce flux était souvent d’un écrasant contenu et reflétait fidèlement ce que les autres publiaient.
La situation a commencé à changer en 2009, lorsque Facebook a proposé aux utilisateurs de « liker » publiquement des publications. La même année, Twitter a introduit quelque chose d’encore plus puissant : le bouton « Retweet », qui permet aux utilisateurs de soutenir publiquement un message tout en le partageant avec tous leurs followers. Facebook a rapidement copié cette innovation avec son propre bouton « Partager », qui est devenu disponible pour les utilisateurs de smartphones en 2012. Les boutons « Like » et « Share » sont rapidement devenus des fonctionnalités standards de la plupart des autres plateformes.
Peu après, le bouton « J’aime » a commencé à produire des données, engageant davantage ses utilisateurs. Ainsi Facebook a développé des algorithmes pour apporter à chaque « Facebooker » le contenu le plus susceptible de générer un « j’aime ». Des recherches ultérieures ont montré que les messages qui déclenchent des émotions, en particulier la colère, sont les plus susceptibles d’être partagés.
C’est justement contre ce genre de propagation de la colère, nerveuse et explosive, que James Madison avait essayé de nous protéger lorsqu’il rédigeait la Constitution des États-Unis. Les rédacteurs de la Constitution étaient d’excellents psychologues sociaux. Ils savaient que la démocratie avait un talon d’Achille parce qu’elle dépendait du jugement collectif du peuple, et que les communautés démocratiques sont sujettes « à la turbulence et à la faiblesse des passions indisciplinées. » La clé de la conception d’une république durable consistait donc à mettre en place des mécanismes permettant de ralentir les choses, de calmer les passions, d’exiger des compromis et d’isoler les dirigeants de la folie du moment tout en les obligeant à rendre des comptes au peuple périodiquement, le jour des élections.
Les entreprises de technologies qui ont renforcé la viralité de 2009 à 2012 nous ont plongés dans le cauchemar de Madison. De nombreux auteurs citent ses commentaires dans le « Fédéraliste n° 10 » sur la propension innée de l’homme à la « faction », c’est-à-dire notre tendance à nous diviser en équipes ou en partis si enflammés par « l’animosité mutuelle » qu’ils sont « beaucoup plus disposés à se vexer et à s’opprimer mutuellement qu’à coopérer pour leur bien commun ».
Une autocratie peut déployer de la propagande ou utiliser la peur pour motiver les comportements qu’elle souhaite, mais une démocratie dépend de l’acceptation largement internalisée de la légitimité des règles, des normes et des institutions. Une confiance aveugle et irrévocable dans un individu ou une organisation particulière n’est jamais justifiée. Mais, lorsque les citoyens perdent confiance dans les dirigeants élus, les autorités sanitaires, les tribunaux, la police, les universités et l’intégrité des élections, alors chaque décision devient contestée ; chaque élection devient une lutte à mort pour sauver le pays de l’autre camp.
Un ancien analyste de la CIA a prédit ces effets de fracturation dans son livre dès 2014, « The Revolt of the Public ». L’analyse se concentrait sur les effets de subversion de l’autorité par la croissance exponentielle de l’information à partir d’internet dans les années 1990.
Le pouvoir des médias sociaux est comme un solvant universel, brisant les liens et affaiblissant les institutions partout où ils s’étendent. Et les réseaux distribués « peuvent protester et renverser, mais jamais gouverner ». Heureusement, pas pour l’instant. Sorte de nihilisme des nombreux mouvements de protestation de 2011 qui s’organisaient principalement en ligne et qui, à l’instar d’Occupy Wall Street (mouvement de manifestation de contestation pacifique dénonçant les abus du capitalisme financier), exigeaient la destruction des institutions existantes sans proposer de vision alternative de l’avenir ou d’organisation susceptible de la concrétiser.
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