L’attaque de la Russie en Ukraine provoque chez certains la peur d’une escalade. D’autres sont dans le déni et font comme si de rien, mais beaucoup d’entre nous se disent qu’entre la pandémie, les catastrophes naturelles et la guerre, nous n’avons plus aucun répit, et avec la rapidité de la fibre, le paysage géopolitique et économique se recompose et s’adapte à un nouveau monde à la vitesse de la lumière. Bienvenue dans le monde extraordinairement complexe de notre futur.
Voici le paradoxe de ce nouveau monde qui fait qu’une bonne idée stratégique peut devenir mauvaise et inversement. Un bon exemple, c’est celui du général d’infanterie qui a le choix entre deux routes dont l’une est plate, dégagée et facile et l’autre tortueuse, escarpée et semée d’embûches. Normalement, il devrait prendre la route la plus facile, mais pour surprendre l’ennemi, il aura peut-être plutôt intérêt à prendre la route difficile, qui fatiguera davantage ses hommes. Le paradoxe continue s’il se dit que l’ennemi va s’attendre à ce qu’il prépare un effet de surprise et choisisse la route difficile à cette fin et que donc il a intérêt à prendre la route facile pour créer cet effet de surprise…
L’illustration parfaite de cela, c’est la percée allemande en 1941 en Russie qui prend les Russes complètement par surprise. La progression des Allemands est extrêmement rapide et ils gagnent des dizaines de kilomètres par jour. Cela semble être une victoire. Sauf que, ce faisant, ils s’éloignent de leur base et la logistique devient de plus en plus problématique. Parfois, le paradoxe de la stratégie peut vous amener à pousser trop loin jusqu’à provoquer des effets pervers non voulus.
Et bien, pour le président Russe, c’est la même chose : il avait prévu que l’attaque provoquerait la chute immédiate du gouvernement ukrainien et qu’il pourrait le remplacer par un gouvernement fantoche à sa botte et qu’ainsi il règlerait rapidement son opération. C’est pour cela qu’il a d’ailleurs employé le terme d’opération. Il a visiblement fait une erreur de calcul. De ce fait, le terme d’opération spéciale se retourne contre lui. On a là un exemple d’effet pervers totalement inattendu de ce paradoxe.
Poutine, formé au KGB, est un calculateur froid, nullement sentimental. Par son action, il est en train de voir se réaliser ses pires cauchemars : l’UE est unie. Tout le monde veut adhérer à l’OTAN. L’Allemagne se réarme… Tout ce qu’il a œuvré à empêcher depuis des années est en train de se réaliser. Pendant des années, il avait réussi à atteindre petit à petit ses objectifs (Géorgie, Tchétchénie, Crimée, etc). Cela lui a donné un excès de confiance. Il a atteint ce point culminant de l’efficacité d’une stratégie qui fait qu’on pousse son avantage un cran de trop, et c’est probablement la maladie qui l’a poussé à accélérer le mouvement.
Un objectif, pour les entreprises comme pour les politiques, implique, à un moment donné, de prendre des décisions et faire aussi des compromis. D’ailleurs, ces derniers scandalisent les puristes. Mais, c’est là que devrait être le rôle du chef : avoir une vision stratégique dans un système complexe. Par exemple, si l’écologie se construit contre les personnes défavorisées, on peut avoir raison et être son meilleur ennemi. De bonnes intentions peuvent donner des résultats catastrophiques en gilet jaune. Beaucoup d’utopies se fracassent sur le réel. Et c’est toujours le réel qui gagne. A bon entendeur, salut.
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